En Alsace, les vigneronnes et vignerons de l’Association Crus et Terroirs ACT ont relancé la tradition du Wìdderkùmme. Une soirée organisée chaque année début Novembre pour réactiver les liens conviviaux entre les membres du groupe, célébrer la fin des vendanges et partager le fruit du travail à la vigne et à la cave avec les amateurs.
Mais qu’est-ce un Wìdderkùmme ?
Employé dans les festins de cérémonie, le vidrecome est un récipient à boire le vin dans lequel chaque convive buvait à son tour avant de le passer à son voisin. Son nom vient du mot allemand wiederkommen (revenir). Le partage de la boisson permettait aux membres des corporations et des confréries de réaffirmer leur appartenance à un même groupe et d'inciter à boire ensemble dans le "verre qui revient" soit "à revenir" ou "à se revoir".
À la fin de la Renaissance, les récipients à boire aux décors pittoresques sont particulièrement appréciés. Le merveilleux « drinkgeschir » ou service à boire de la Renaissance exaltait alors la convivialité du vin à travers les nombreux gobelets, coupes, vases à boire, hanaps, pokal ou bocal, Willkomms et vidrecomes crées par les orfèvres de Strasbourg, Bâle et Colmar de la fin du XVe au début du XVIIIe siècle. Cette vaisselle d’apparat témoigne de l’aisance des nobles et riches bourgeois notamment permise par l’exploitation des mines d’argent des Vosges.
Les vidrecomes peuvent avoir des formes très variées, et peuvent également être réalisés en matériaux divers. En 1929, Robert Forrer, consacre un article très intéressant aux vidrecomes alsaciens en forme de Buttemaennel. Il s'agit de coupes à boire des corporations de vignerons, les représentants avec leur hotte appelée en alsacien "Butte".
« C’était un vin du Rhin dont la robe vermeille
Jaunissait de vieillesse, un vin mis en bouteille
Au moins depuis un siècle – ou deux !
Il luisait comme l’or au fond du vidrecome ;
Un seul verre eût suffi pour étourdir un homme ».
Théophile Gautier, Albertus, ou l’âme et le Péché, 1833, p. 169
Lors d’une visite au Musée Unterlinden, nous avons la grande chance de pouvoir découvrir un magnifique vidrecome. Il s’agit du « vidrecome du Trésor des Trois‐Épis » qui possède un corps en bois fermé par un couvercle en argent et un bec verseur par lequel on boit. Vingt‐et‐un écussons en argent sont suspendus à des chaînettes autour du vidrecome. Ils portent des noms, des dates et les symboles de différentes professions artisanales : charron (roue de voiture), tonnelier (tonneau), vigneron (serpe).
Cette pièce d’orfèvrerie attribuée au Maitre LB et datée des années 1612 fut découverte le 4 Mai 1864, aux abords de la chapelle des Trois-Épis qui dès le début du XVIe siècle, faisait l’objet d’un important pèlerinage entraînant des dons de la part des fidèles. A l’occasion de travaux, un grand chaudron de cuivre fut mis au jour par des ouvriers, il contenait un trésor d’orfèvrerie lourd de plus de vingt kilos vraisemblablement caché au moment des troubles de la Guerre de Trente Ans qui ravageait l’Alsace. Le chapelain voulut probablement au début des années 1630 soustraire aux envahisseurs étrangers les trésors accumulés. Outre des monnaies d’origines géographiques diverses, le chaudron contenait différentes pièces importantes comme notre vidrecome, des hanaps (des coupes à boire munies d’un couvercle), des gobelets, des bijoux. Ce trésor qui a été tout d’abord la propriété de la commune d’Ammerschwihr fut remis au Musée Unterlinden en 1866. Il constitue le noyau primitif des collections d’orfèvrerie du Musée Unterlinden et permet de présenter au public des pièces d’orfèvrerie Renaissance mais surtout de renouer avec les plaisirs sans cesse renouvelés de la « convivialité à l’alsacienne ».
« L'association d'une nourriture choisie et du nectar de la vigne est le cœur de la gastronomie. On peut y voir une forme de rhétorique ou de musique, un art sacré, ou, pour parler moderne, une médiation voluptueuse. En effet, la convivialité réside dans le partage des goûts et des saveurs, dans un esprit de connivence et, si possible, dans un environnement digne des personnes réunies autour de la table. C'est un moment, intense, d'amitié. Une mémoire à venir. Et c'est aussi un rite. »
Georges Bischoff, Dans le ventre de l’Alsace, La Nuée Bleue, 2020, page 225
Venez découvrir le Trésor des Trois Epis lors d’une visite guidée « Arts et Vins au Musée Unterlinden » que je vous propose toute l’année sur demande.
Pour en savoir plus :
ACT, Alsace Crus & Terroirs, est une alliance de vignerons alsaciens réunis autour d’un même idéal de Grands Vins de Terroirs pour vous faire découvrir, comprendre et aimer l’Alsace qui, à ce jour, est sans doute l’une des régions les plus fascinantes de la planète vin tout en étant l’une des plus méconnues.
Le Musée Unterlinden, vous offre un panorama complet de l'art et vous propose un parcours de visite couvrant près de 7000 ans d'histoire.
Bibliographie :
Georges Bischoff, Dans le ventre de l’Alsace, La Nuée Bleue, 2020
Benoît Jordan, "Le boire et le voir : hanaps et gobelets, objets détournés ?" , Revue d’Alsace, 137 | 2011, « Boissons en Alsace de l'Antiquité́ à nos jours »
Francis Lichtlé, « Le Trésor des Trois Épis », Annuaire des 4 sociétés d'Histoire de la vallée de la Weiss, Riquewihr, 1987, p. 4
Francis Lichtlé, Histoire des Trois Épis. Un pèlerinage marial en Haute Alsace, 1991, p. 20.
Frédérique Goerig, « Le Trésor des Trois-Épis au musée d'Unterlinden », Bulletin de la Société Schongauer 1997-2000, Colmar, Musée d'Unterlinden, 2001, n°2, p. 83-84
Robert Forrer, "Les vidrecomes alsaciens en forme de Buttemaennel", Archives alsaciennes d'histoire de l'art, 1929
Le Trésor des Trois-Epis notice base Joconde
Définition : https://www.cnrtl.fr/definition/vidrecome
Informations sur l'auteur
Caroline CLAUDE-BRONNER, fondatrice de Chemins Bio en Alsace, guide conférencière diplômée en Histoire, fille de vignerons alsaciens, passionnée par sa région, vous propose ses services de guidage et d'accompagnement dans la bonne humeur et le respect de l'environnement pour tout public, du junior au senior.