Mieux connaître l'histoire de l'église et du cimetière fortifié de Hunawihr, grâce à l'association des Amis de l'église historique de Hunawihr. Voici le résumé par Caroline CLAUDE-BRONNER des deux conférences données par l'historien Georges Bischoff et l'archéologue Jacky Koch le 18 Novembre 2022 à Hunawihr, publié dans le bulletin N°13, Mars 2023 de l'association Les Amis de l'Eglise Historique de Hunawihr.
Hunawihr entre 1515 et 1525
En première partie de soirée c'est le Professeur Georges Bischoff, Docteur en Histoire, docteur ès Lettres et ancien directeur de l'Institut d'Histoire du Moyen Age de l’Université de Strasbourg, qui nous a fait l’honneur de nous présenter en avant-première son nouvel ouvrage sorti le jour même : Les ruines fantastiques - Histoire, mémoire et imaginaire des châteaux d'Alsace, La Nuée Bleue, Novembre 2022
L’historien médiéviste Georges Bischoff, passionné d’images, explore ces fantasmes qu’entretiennent les châteaux forts depuis le Moyen Âge. Dans ce livre aux contours élastiques et aux références originales, il brasse la réalité matérielle, les histoires vraies, les mensonges et les songes, il fait se télescoper les siècles. En 36 chapitres, dont un consacré à l’église et au cimetière fortifié de Hunawihr, il nous emmène en autant de promenades buissonnières et, par d’imprévisibles raccourcis, nous narre l’histoire inconsciente, imagée et fantastique des châteaux d’Alsace.
Entre 1515 et 1525, Hunawihr se situait véritablement à « l’épicentre du vignoble » au cœur de ce « petit paradis » souvent appelé le « jardin et cœur de l’Europe - das Elsass, der garten oder das herz Europa ».
Le début du XIVe siècle constitue l’apogée d’un « siècle d’or » rendu possible par un contexte économique favorable tout au long du Rhin Supérieur grâce d’une part aux excellents retours sur investissements des exploitations minières et d’autre part au dynamisme du commerce du vin. On boit du « vin d’Aussay » nom donné alors au vin d’Alsace partout où il est exporté.
La carte du Rhin Supérieur dressée en 1513 par Martin Waldseemüller, géographe associé au Gymnase vosgien créé à l’initiative des chanoines de la collégiale de Saint-Dié, les « parrains » de l’église de Hunawihr en témoigne.
Les années 1515-1525 sont marquées « d’une grande splendeur ». Un moment d’intenses activités artistiques et culturelles, qui voit l’achèvement de la collégiale de Thann (1516), du Retable d’Issenheim (1516), du Retable de la Sainte-Croix de Kaysersberg (1519) ou du gisant de Jacques de Hattstatt et de Marguerite de Rathsamhausen à Soultzbach-les-Bains (1518) mais aussi de l’actuelle Mairie de Hunawihr qui était alors la halle aux blés et sans aucun doute également « la Chambre des Bourgeois - Die Herrenstube » (1517). Les nombreux « vins d’honneur » un terme inventé en 1521 à Belfort devaient couler à flots dans ce « berceau de la convivialité liée au vin ».
A Hunawihr, « les caves et les maisons sont bien rangées ». Et pourtant, cette apogée coïncide avec une grande angoisse car la conjoncture politique est de plus en plus dangereuse et l’économie en pâtit. Le « pipeline du vin d’Alsace » est régulierement coupé. La région rentre dans « un temps de fièvre », les inquiétudes sont de plus en plus nombreuses en particulier celles liées à la « quête du Salut. Dans l’attente du jugement dernier, les formes de dévotion se multiplient. Les pèlerinages que Georges Bischoff qualifie « d’entreprises d’investissements d’avenir » comme Notre-Dame des Trois Épis (1493) prospèrent ainsi que la vente des indulgences « des actions qui vont rapporter gros » utilisées comme un remède aux péchés.
A Hunawihr, les religieux de Saint-Dié vont essayer de tirer profit de ce « parc d’attraction exceptionnel qu’on voit de loin » et vont construire un récit qui mobilise. Ils retrouvent opportunément « sainte Hune ». Sa béatification qui a eu lieu le 15 avril 1520 résonnera comme une réplique positive aux péchés de la chair et au développement du "mal français" soit la syphilis. Cette manifestation d’envergure tente également d’être une réponse à la Réforme et à la traduction allemande du nouveau testament entreprise par Martin Luther. 20 000 personnes se seraient déplacées le jour de l’inauguration et le pèlerinage semblait bien lancé. Dans sa Vie de Sainte Odile publiée en 1521, Jérôme Guebwiller évoque sainte Hune. On « bricole des généalogies imaginaires et on associe les saints aux princes » pour accroitre leur promotion. Et pourtant l’opération de promotion de pèlerinage de Hunawihr va faire « pschitt » car à l’instar de Martin Luther dorénavant le vrai pèlerinage spirituel « c’est dans la tête ! »
A partir de 1515, les temps se troublent, Hunawihr située au cœur d’une région riche aux impératifs de sécurité se retrouve à l’épicentre d’un « enjeu militaire ». En effet, à la suite de la bataille de Marignan (1515) Georges Bischoff situe le « match retour » en 1516 à … Hunawihr.
Maximilien Ier espérant reprendre sa revanche tente alors d’ouvrir un deuxième front envers le Duc de Lorraine et le Roi de France. Une guerre très courte, une grande opération « parfaite du point de vue militaire » mais qui a échoué pour des raisons financières. Le déploiement de l’armée lorraine entre Saverne et le Val de Villé entre mai et juillet 1516, s’est traduit par l’adoption d’une première Landsrettung afin de compléter le dispositif de l’Autriche et de ses satellites. Le village de Hunawihr ne bénéficiant pas des avantages des fortifications urbaines avait déjà doté son église d’un cimetière fortifié et il est fortement probable que dans ce contexte militaire l’enceinte fortifiée de l’église de Hunawihr ait été conservée voir même renforcée lors des travaux de reconstruction et d’agrandissement du choeur et de la nef entre 1520 et 1525. (voir conférence de Jacky Koch)
Lors de la guerre des Paysans de 1525, les fortifications rurales et notamment les cimetières fortifiés vont jouer un rôle important et se transformer en camp militaire. Ils vont beaucoup servir en particulier au moment où la répression par les Lorrains et l’armée du roi de France se met en marche.
Un des points chauds de cette insurrection sera le cimetière fortifié de Hunawihr attesté comme un des grands centres de mobilisation des paysans. Ulrich de Ribeaupierre, évoque plus de 1 200 paysans de la bande d’Ebermunster qui s’y seraient rassemblés les 8 et 9 mai 1525. Lenz Meyer de Hunawihr le porte-drapeau des paysans de la seigneurie de Riquewihr deviendra quelques jours plus tard un des leaders de la troupe paysanne. La répression sera terrible, les paysans seront massacrés.
En 1525, « l’Alsace unie » s’est soulevée pour la première fois de son histoire, mais est tombée en quelques semaines. L’église et le cimetière fortifié de Hunawihr sont véritablement un témoignage de ces 10 années de bouleversements majeurs que furent les années 1515-1525.
Le cimetière fortifié de Hunawihr dans tous ses états du XIe au XVIe siècle
En deuxième partie de soirée c'est Jacky Koch, Docteur en Histoire et archéologie médiévales, Responsable de l'unité Périodes historiques Archéologie Alsace qui nous expose l'état des recherches sur le cimetière fortifié de Hunawihr et ça commence bien ! Notre conférencier nous signale que le panneau d’accueil de l’église et du cimetière fortifié indique une erreur car la fortification du cimetière est signalée au XIIIe siècle, ce qui n’est pas exact puisqu’elle s’avère dater de la fin du XVe siècle.
Notre conférencier se propose d’essayer de faire le point sur l’histoire du cimetière fortifié de Hunawihr au cours de son exposé. Un exercice difficile car nous sommes confrontés à une absence de documents anciens et de fouilles archéologiques dédiées.
Voici les dates connues :
- Avant 1049 : existence d’une église ancienne (confirmé par les sondages de Pierre Brunel en 1990)
- 1114 : Un acte d’Henri V mentionne un MEYERHOF propriété du Chapitre de Saint-Dié également nommé « les domaines d’Allemagne ».
- 1279 : on retrouve la mention des Sires de Hunawihr
- 1472 : première mention d’un fossé le KILCHGRABEN
- Fin XVe siècle : construction du clocher et de l’enceinte flanquée de tours rondes ouvertes à la gorge
- 1524 -1525 : construction de l’église gothique
- 1807 : Plan cadastral
Il existe peu d’études archéologiques menées dans l’église et dans le cimetière fortifié. Néanmoins, quelques « constats archéologiques sommaires » menés par Pierre Brunel dans les années 1990 ont permis de retrouver des éléments de l’église primitive (publiés dans notre bulletin de 1990). Puis au début des années 2000, une restauration partielle du mur d’enceinte a donné lieu à des recherches archéologiques. Notre conférencier a lui-même mené les fouilles qui ont fait l’objet d’une publication en 2002 dans notre bulletin et dans les Cahiers alsaciens d’Art (voir bibliographie).
Notre conférencier nous propose une « promenade archéologique » autour de notre cimetière fortifié et s’intéresse tout d’abord au mur occidental (ouest) qui semble être la partie la plus ancienne.
Traces d’un ancien habitat aristocratique : le Wohnturm des Sires de Hunawihr ? (avant le XIIIe siècle)
Jacky Koch nous présente un relevé qu’il a lui-même effectué en 2002 où se distingue une maçonnerie plus ancienne qui pourrait signaler un bâtiment avoisinant l’église paroissiale. Celui-ci pourrait en lien avec la résidence aristocratique des sires de Hunawihr, d’autant plus que dans certains documents, il est fait mention d’un « Burgweg » ce qui confirmerait bien la présence d’un « château ».
Notre conférencier mentionne avoir observé sur ce tronçon de mur des traces d’incendie ainsi que des « bricolages et reprises » effectués à la fin Moyen Âge, ainsi que la trace d’une fenêtre. La mise en œuvre du mur qui est enduit est analogue à celle de l’église de Surbourg (Bas-Rhin) datée du 11e siècle. Elle se rapproche de celle des murs d’un Wohnturm conservé à Rouffach. Jacky Koch nous présente une illustration restituant la ville de Bâle au XIe siècle. Les maisons représentées sont analogues au site de Hunawihr.
Notre conférencier soulève également un point d’interrogation qui l’avait déjà préoccupé en 2002. En effet, au niveau de la butte sommitale de la colline de l’église on distingue toujours un pendage et un fossé . Y avait-il une construction au sommet ? Une tour en bois ? Ce point sera très difficile à étudier car le site a été très perturbé par les travaux viticoles.
Venons-en maintenant au cimetière fortifié. Pourquoi édifier un mur et un clocher-tour à cet endroit ? Pourquoi fortifier une église, voire le cimetière ?
Il est préférable de parler « d’enclos ecclésial » (ou Kirchenburg en allemand). D'après l'historien et paléographe Bernhard Metz il y en avait plus de 139 dans notre région comme à Jebsheim ou à Hartmannswiller ou encore à Chatenois, propriété de l’évêque de Strasbourg que Jacky Koch connaît très bien.
À qui appartient l’enclos écclesial ? Souvent au XIVe-XVe siècles, c’est l’endroit où peuvent résider les représentants de l’autorité et sont mis en sécurité les biens, en particulier les tonneaux de vin.
Quand ? Le suivi des travaux de canalisation sous la tour-porte du cimetière fortifié a confirmé l’absence de toute muraille antérieure à celle de la fin du XVe siècle. D’autre part, avant 1520, l’existence d’un gardien est confirmée dans le haut du clocher. Doté de bouches à feu, ce dernier avait donc bien une fonction de défense active. Certes l’axe de tir de ce dispositif est réduit mais pouvait néanmoins impressionner. Cela peut paraître faible mais l’organisation générale du site montre que le clocher qui jouxtait l’église plus ancienne remplit un rôle identique à la tour de château.
Au XVe siècle, l’usage des arquebuses est très généralisé, les nombreuses bouches à feu en trous de serrures et les archères disposées sur la construction du mur en témoignent. Notre conférencier nous présente une illustration issue de la Berner Chronik de 1470 qui nous impressionne. Quant à la porte qui est clairement un maillon faible du dispositif, elle est munie d’un élément de défense passive : une herse.
Eine Feste Burg ist Unser Gott
Nous savons que en 1520, l’église devient « bien communal » et que la famille des Sires de Hunawihr disparaît des radars. Suite à la mise en place du site de pèlerinage et des travaux d’agrandissement de l’église, les bâtisseurs sont obligés d’entailler l’enceinte pour la conserver. Ce qui montre l’importance accordée à cette protection en cette période de plus en troublée dont 1525 (date bien identifiée à l’intérieur de l’église car elle figure sur la porte de la sacristie) constitue véritablement le temps fort.
Reste de nombreuses questions. En effet, si ce lieu avait bien une fonction de défense passive et active, il faut se poser les questions des réserves de nourriture et d’eau et d’un éventuel habitat permanent d’autant plus qu’il ne semble pas y avoir d’inhumations avant le XVIe siècle. Mais où était le cimetière de Hunawihr alors ?
Pour conclure, notre conférencier nous propose un nouveau plan pour notre panneau d’accueil car le mur d’enceinte et le clocher datent bien de la fin du XVe siècle et font partie de la même volonté de mieux protéger ce site qui se trouvait alors menacé (voir conférence de Georges Bischoff).
Bibliographie :
- Georges Bischoff, La Guerre des Paysans, L’Alsace et la révolution du Bundschuh, 1493-1525, La Nuée Bleue, 2010
- Georges Bischoff, Le siècle de Gutenberg, Strasbourg et la Révolution du livre, La Nuée Bleue, 2018
- Georges Bischoff, Dans le ventre de l’Alsace - L’âge d’or de la gastronomie alsacienne, La Nuée Bleue, 2020
- Georges Bischoff, Les ruines fantastiques - Histoire, mémoire et imaginaire des châteaux d'Alsace, La Nuée Bleue, Novembre 2022
- Jacky Koch, article "L’église et la cour de Hunawihr (Haut-Rhin) au XIe siècle : nouvelles observations", Cahiers alsaciens d’art, d’archéologie et d’histoire, Strasbourg, Société pour la conservation des monuments historiques en Alsace, 2002, pp 65 à 74
- Bernhard Metz, article "Cimetières fortifiés en Alsace" in L'église le terroir, centre national de recherche scientifique, CRA-Monographies, 1989, pp 21-50
- Bernhard Metz, "Un phénomène de masse inaperçu ? La fortification des cimetières en Alsace d’après les sources écrites, les plans anciens et le terrain" in Archéologie du Midi médiéval. Tome 36, 2018.
- Bulletins de l'Association des Amis de l'Eglise de Hunawihr , N°1 à 13
Cet article est rédigé par Caroline CLAUDE-BRONNER
Fondatrice de Chemins Bio en Alsace , guide conférencière diplômée en Histoire, fille de vignerons alsaciens, passionnée par sa région, vous propose ses services de guidage et d'accompagnement dans la bonne humeur et le respect de l'environnement pour tout public, du junior au senior.