Le Gewurztraminer également nommé Traminer, Savagnin, Naturé, Heida ou Païen est un cépage très ancien. À l’instar d'autres variétés comme le Pinot ou le Gouais, ce cépage a développé plusieurs formes différentes au fil de siècles de reproduction végétative.
Remontons aux racines épicées du Gewurztraminer et découvrons la fascinante histoire de cet emblématique cépage qui a trouvé en Alsace sa plus belle expression. Pour le plus grand plaisir de nos sens.

Un cépage très ancien
Dans son article "Origine du Gewürztraminer : l'ADN contre l'histoire" l’ampélologue suisse José Vouillamoz précise "que si aujourd'hui, le Traminer présente un niveau considérable de diversité clonale, qui se reflète dans la couleur des baies, l'arôme, la forme des feuilles, la taille des grappes, etc. Plusieurs de ces formes ont souvent été considérées à tort comme des variétés distinctes, par exemple : le Gewürztraminer en Alsace, dans le Südtirol et en Allemagne, le Heida ou le Païen en Suisse, le Traminer ou le Traminer Weisser en Allemagne, le Traminer Aromatico dans le Südtirol/Trentin-Haut-Adige en Italie. Pourtant, les profils ADN ont montré qu'ils ont tous la même empreinte génétique, à l'exception de quelques différences génétiques clonales mineures, et qu'ils correspondent tous à la même variété. Il est donc trompeur de parler d'une "famille Savagnin" ou d'une "famille Traminer" car cela suggère des liens familiaux tels que parent-descendant, oncle-neveu, cousins."
Références de l'article : http://www.suedtirolwein.com/media/4cec1f17-de66-4e13-9e75-9befd75d2a7c/jose-vouillamoz.pdf
L'ouvrage de référence cité dans l'article est : Wine Grapes : A Complete Guide to 1,368 Vine Varieties, including their Origins and Flavours, Jancis Robinson, Julia Harding, José Vouillamoz, Octobre 2012.

Ne pas confondre le "vin de Tramin" et le "Traminer"
Il est généralement raconté que le Traminer est originaire du village de Tramin/Termeno dans le Südtirol/Trentin-Haut-Adige, d'où il se serait diffusé en Suisse et dans la vallée du Rhin Supérieur dont l’Alsace avant d'atteindre l'Europe centrale et la France, en particulier la Franche-Comté. Selon l'historienne allemande du vin Christine Krämer, c'est Hieronymus Bock (1539) qui a probablement été celui qui a déclenché cette légende - toujours vivante aujourd'hui - lorsqu'il a écrit dans son Kreutterbuch : "darnach Traminner drauben/deren wachsen vil inn der Etsch/als zu Tramyn und Elsass'" (les raisins Traminner/qui poussent largement dans la vallée de l'Etsch/ainsi qu'à Tramin et en Alsace).
Les références de l'ouvrage sont : Christine Krämer, Rebsorten in Württemberg. Herkunft, Einführung, Verbreitung und die Qualität der Weine vom Spätmittelalter bis ins 19. Jahrhundert. Jan Thorbecke Verlag, Ostfildern 2006
De nombreux documents rejettent donc le Südtirol comme la région d’origine du cépage nommé "Traminer".
L'ampélographe allemand Johann Philipp Bronner (1792-1864) qui a visité le Südtirol/Trentin-Haut-Adige a été surpris de ne trouver aucun cépage Traminer et s’est interrogé à ce sujet. D’autant plus que le Traminer ni aucun de ses synonymes n'avaient jamais été mentionnés dans les livres d'ampélographie italiens avant la fin du XIXe siècle, lorsque les premières plantations de Traminer ont commencé dans le Südtirol.
Références : https://www.hoamet-tramin-museum.com/de/traminer-wein.php

Le Traminer (cépage) ne serait donc pas originaire de Tramin. Il existait pourtant bel et bien un "vin de Tramin /Termeno" ou "vini de Traminne" mentionné dans un document sur les prix des vins émis le 17 septembre 1242 à Bolzano/Bozen dans le Südtirol/Trentin-Haut-Adige. Ce "vin de Tramin" était alors élaboré à partir de plusieurs cépages distincts comme le Muscat Blanc à Petits Grains/Moscato Bianco/Muskateller Weiss et le Weisser Lagrein, mais pas à partir du cépage Traminer. Le "vin de Tramin" est mentionné comme : "wein guets Traminner" (bon vin de Tramin) au Tyrol en 1362.

Puis on retrouve la mention "Tramin" au concile de Constance en 1414 et "Traminer" cité à Strasbourg par le curé de la Cathédrale en 1450. Une mention existait dès 1483 au monastère de Bebenhausen près de Stuttgart. Le "Tramynner" également retrouvé à Strasbourg en 1514.
En 1529, le "Traminer" ou "vieil alsacien" est cité par le médecin Paracelse comme le meilleur "véhicule médicinal" qui soit.
Cette bonne notoriété explique sûrement pourquoi à partir du XVe siècle un des cépages les plus plantés dans la vallée du Rhin a été nommé Traminer. Il s’agit vraisemblablement d’une tentative délibérée de profiter de la renommée des vins de Tramin à cette époque.
En 1650, Jean Bauhin botaniste et médecin de la cour du duc de Wurtemberg à Montbéliard incluant la seigneurie de Riquewihr mentionne dans "Historia plantarum universalis, nova, et absolutissima", que les Muscateller et Traminer sont les cépages les plus plantés dans la vallée du Rhin.
Mais alors d'où vient le cépage Traminer
Les sources historiques, ne permettent pas à ce jour d'identifier la région d'origine du cépage mais les analyses de parenté ADN les plus récentes en particulier menées par l’ampélologue suisse José Vouillamoz ont montré les relations génétiques naturelles suivantes : "Dans le nord de la France, le Traminer et le Gouais Blanc ont donné naissance à l'Aubin Blanc en Lorraine et au Petit Meslier en Champagne. Le Traminer a également des liens de parenté avec le Pinot et avec le Teinturier mais il n'est pas possible de dire lequel est le parent et lequel est la descendance. De plus, il s'est croisé avec un seul cépage inconnu et probablement éteint pour donner naissance au Sauvignon Blanc, au Trousseau et au Chenin Blanc, qui sont donc frères et sœurs. Dans le sud de la France, le Traminer est un parent probable du Petit Manseng et un grand-parent du Gros Manseng, tous deux dans les Pyrénées-Atlantiques, et a des liens de parenté probables avec le Béquignol Noir de Gironde et le Téoulier Noir de Provence. En Autriche, le Traminer et l'Österreichisch Weiss ont donné naissance au Silvaner, tandis que le Traminer et le Roter Veltliner sont les parents du Rotgipfler. Il a également été récemment démontré que le Traminer est un parent du Grüner Veltliner par croisement avec le St-Georgener."
Références de l'article : http://www.suedtirolwein.com/media/4cec1f17-de66-4e13-9e75-9befd75d2a7c/jose-vouillamoz.pdf
D'après ces dernières données génétiques, il semble donc que le Traminer soit né quelque part entre le nord-est de la France et le sud-est de l'Allemagne, donc très possiblement dans une zone qui couvre le Jura, la Moselle, l'Alsace et le Rheingau soit par un croisement naturel entre le Pinot et un cépage inconnu, soit par un croisement naturel entre deux cépages plus anciens, indéterminés et très probablement éteints.

Certains historiens avaient déjà énoncé l'ancienneté du cépage Traminer en particulier le chanoine Médard Barth, page 88, de son ouvrage "Der Rebau des Elsass" publié en 1958 à Strasbourg : "Ausdrücklich wird dagegen von Bock der Traminer für das Elsass erwähnt. Die Herkunft dieser Rebe, deren Wein sich selbst empfiehlt, ist aber in Dunkel gehüllt. Ihre Kultur am Rhein ist sehr alt, und es ist nicht ausgeschlossen, dass die Traminer-rebe schon von den Römern hier angebaut wurde. Eine frühschwarze Klevener-Sorte sowie Grünfränkisch stellte Bock bei Weissenburg fest und im pfalz-zweibrückenschen Amt Kleeburg (...) das Edelgewächs Schwarz-Lampers (= lombardisch), dessen Name nach Oberitalien weist. Frühe Einflüsse der Abtei Weissenburg wie auch solche der Kur-pfalz werden sich hier auf die Wahl der besseren Rebsorten ausgewirkt haben"
"D'autre part, Bock mentionne explicitement le Traminer pour l'Alsace. L'origine de ce cépage, dont le vin se recommande tout seul, est enveloppée d'obscurité. Sa culture sur le Rhin est très ancienne, et il n'est pas impossible que le cépage Traminer ait déjà été cultivé ici par les Romains. Bock a découvert une variété précoce de Klevener noir ainsi que de Grünfränkisch près de Weissenburg et dans le district Palatinat-Deux-Ponts de Kleeburg (...) la noble plante Schwarz-Lampers (= Lombard), dont le nom fait référence au nord de l'Italie. Les influences précoces de l'abbaye de Wissembourg ainsi que celles de l'électorat du Palatinat ont eu un impact sur le choix des meilleurs cépages."
Médard Barth se réfère notamment à l'étude de Friedrich von Bassermann-Jordan, "Ueber Herkunft und Alter der Rene im Rheingebiet", Geschichte des Weinbaus, I, 1923.

Et le GEWURZTRAMINER alors
Il n'est donc pas étonnant que ce soit au coeur du berceau du Traminer que soit né le Gewurztraminer qui n'est pas un cépage distinct, mais simplement une mutation aromatique du Traminer Rot, lui-même étant une mutation colorée du Traminer Weiss.
La première occurrence du nom Gewürztraminer (Gewürz signifie épicé, aromatique en allemand) semble apparaître en Allemagne en 1827. Mentionnée par le jardinier universitaire allemand Johann Christian Metzger (1789-1852) en tant que variété rare originaire du Rheingau : "Rother Traminer. Rother Rießling bei Oppenheim, Traminer kleiner, Gewürztraminer im Rheingau, aber äußerst selten und nur an einigen Orten gekannt" soit Rother Traminer. Rother Rießling près d'Oppenheim, Traminer kleiner, Gewürztraminer in Rheingau, mais rare en dehors de cette région et connu seulement dans quelques endroits.
Il semble que ce serait le célèbre botaniste alsacien Frédéric Kirschleger qui mentionne pour la première fois le "Gewurztraminer" dans sa version "française" en 1848 dans son ouvrage : Statistique de la viticulture dans le département du Bas-Rhin, Strasbourg, Berger-Levrault.

En 1852, l’ampélographe alsacien Jean-Louis Stoltz (1777-1869) – le nomme Gentil-Duret dit Traminer Rouge ou Roth Klevener dans son "Ampélographie rhénane, ou Description caractéristique, historique, synonymique, agronomique et économique des cépages les plus estimés et les plus cultivés dans la vallée du Rhin, depuis Bâle jusqu'à Coblence et dans plusieurs contrées viticoles de l'Allemagne méridionale". Il mentionne notamment :
"En Alsace, ce cépage, la variété rouge aussi bien que la variété blanche, occupait depuis un temps immémorial, et cela jusqu’à l’époque de notre première révolution, les clos de vignes des propriétaires viticulteurs les plus riches, mais toujours dans de petites proportions, et contribuait à la bonne renommée de leurs vins."
"Bronner, pense qu'aucun autre cépage ne se montre aussi difficile sous le rapport du terrain. S’il ne se trouve pas justement dans son élément, dit-il, le Traminer produit peu, dégénère, pousse de faibles rameaux. Pour prospérer, il a besoin d’être planté dans terre forte, fertile et profonde."
"Aussi apte à donner des vins secs que des vins doux, semi-liquoreux même, suivant que la maturité du raisin a été plus ou moins complète et suivant les procédés de confection et de conservation de son produit, le Gentil-Duret donne en général un vin, qui, doux et plein de sève devient dans la suite plus sec, fin, spiritueux et d’un goût aromatique particulier. Il se conserve assez longtemps, lorsqu’il est bien soigné à la cave, moins bien cependant que le vin Gentil-aromatique (le Riesling)."
"Dans les principales communes viticoles du Haut-Rhin, telles que Ribeauvillé, Riquewihr, Hunawihr et quelques autres, où le Gentil-Duret est encore cultivé en quelque quantité par un petit nombre de propriétaires aisés, ce cépage se trouve presque toujours en réunion de différents autres, tels que le Gentil-aromatique (Riesling), le Moréote ou Tokai gris (Grauedler, Grauklavner), le Moréote ou Pinot blanc, appelé ici Silberedel, le Chasselas enfin, dit Gutedel. C'est de ce mélange que se font les meilleurs vins, dits Gentils (Edel) de cette contrée, tels que le Trottacker et le Zahnacker de Ribeauvillé, etc"
Le Traminer est un des sept cépages "nobles" retenu par l'ordonnance du 2 novembre 1945 signée par Charles de Gaulle et devenue la pierre de fondation de la législation actuelle du vin d'Alsace. Au cours des années 1950, le plus puissant et le plus "épicé" des vins d'Alsace qui est de plus en plus nommé Gewurztraminer se retrouve très vite sur les meilleures tables. Le 2 Juin 1953, lors du couronnement d'Elisabeth II, du Gewurztraminer des caves de Jules Muller et Fils à Bergheim fut servi aux invités. La jeune Reine ayant apprécié le Gewurtraminer lors d'un voyage en France deux ans auparavant.
Même s'il est souvent difficile pour les non-germanophones d'écrire et de prononcer le nom du cépage, une fois que le vin a été apprécié, il n'est jamais oublié.

Étymologies & Mythologies du Gewurztraminer : un nom comme une invitation au plaisir des sens.
La science ampélographique qui rassemble l'histoire, la géographique, la botanique et aujourd'hui la génétique a également besoin de la linguistique et de l'étymologie. Car c'est bien souvent dans l'origine des noms de cépage que se cache la plus belle part de mystère.
Tramin / Termeno vient du latin terminus soit une borne mitoyenne, une limite, une ligne de démarcation située à la limite entre deux territoires, ou à l´extrémité d'un territoire. La ville de Tramin se situe sur des limites gardées par Traminer / Tramin / Termeno / Terminus. Une divinité romaine gardienne des bornes, fils de Jupiter. Un dieu “mitoyen” qui, par des bornes, à la fois sépare et rapproche.
Gewurz qui veut dire épices vient de l'allemand Wurz / Wurzel soit racines. La seule évocation des épices échauffe l’imagination. Plaisir sensuel, sensoriel des épices, sans oublier leurs vertus thérapeutiques. Des bienfaits que nos ancêtres connaissaient intuitivement et valorisaient. Hier comme aujourd'hui, servir du Gewurztraminer d'Alsace est une invitation à la rêverie et au plaisir des sens. Un vin et un nom qui ouvre au secret divin !
Qui dit que l'on ne peut avoir
Si grand plaisir que de se voir
Entre ses amis, à sa table,
Quand un menestrier delectable
Paist l'oreille d'une chanson,
Et quand l'outesoif echanson
Fait aller en rond, par la troupe,
De main en main la pleine coupe.
Je te salue, heureux boyveur,
Des meilleurs le meilleur reveur;
Je te salue, ombre d'Homere:
Tes vers cachent quelque mystere;
Il me plaist de voir si ce vin
M'ouvrira leur segret divin !
Livret de folastries : Poésies érotiques, Pierre de Ronsard, Etienne Jodelle, 1553
Informations sur l'auteur
fondatrice de Chemins Bio en Alsace , guide conférencière diplômée en Histoire, fille de vignerons alsaciens, passionnée par sa région, vous propose ses services de guidage et d'accompagnement dans la bonne humeur et le respect de l'environnement pour tout public, du junior au senior.
suivez moi sur Facebook ou Linkedin